Un instrument qui reconnait la matière vivante
« Lorsque la lumière est réfléchie par un matériau biologique, une partie de l’onde électromagnétique de la lumière se déplace en spirale soit dans le sens des aiguilles d’une montre soit dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Ce phénomène s’appelle la polarisation circulaire et est causé par l’homochiralité du matériau biologique. Des spirales lumineuses similaires ne sont pas produites par la nature abiotique non vivante », explique le co-auteur Lucas Patty, chercheur postdoctoral du projet MERMOZ à l'Université de Berne et membre du PRN PlanetS.
Mesurer cette polarisation circulaire représente toutefois un réel défi. Le signal est assez faible et représente généralement moins de 1% de la lumière réfléchie. Pour la mesure, l’équipe a développé un instrument spécial appelé spectropolarimètre. Il se compose d’une caméra dotée de lentilles spéciales et de récepteurs capables de séparer la polarisation circulaire du reste de la lumière.
Mais même avec cet instrument sophistiqué, les nouveaux résultats auraient été impossibles à trouver jusqu’à récemment. « Il y a encore 4 ans, nous ne pouvions détecter le signal qu’à une très courte distance, environ 20 cm, et nous devions observer le même endroit pendant plusieurs minutes », se souvient Lucas Patty. Mais les améliorations que lui et ses collègues ont apportées à l’instrument permettent une détection beaucoup plus rapide et stable, et la force de la signature en polarisation circulaire est préservée même à distance. Cela a permis à l’instrument d’effectuer les premières mesures de la polarisation circulaire depuis les airs.
Mesures utiles sur la Terre et dans l’espace
Grâce à cet instrument amélioré, appelé FlyPol, les chercheurs ont pu démontrer qu’ils pouvaient faire la différence entre les prairies, les forêts et les zones urbaines à partir de mesures effectuées en quelques secondes depuis un hélicoptère volant rapidement. Les mesures montrent clairement que la matière vivante présente les signaux de polarisation caractéristiques, alors que par exemple les rues ne montrent aucun signal de polarisation circulaire notable. Avec la configuration actuelle, ils sont même en mesure de détecter des signaux provenant d’algues dans les lacs.
Après ces tests concluants, les scientifiques veulent désormais aller encore plus loin. « La prochaine étape que nous visons est d’effectuer des détections similaires depuis la Station spatiale internationale (ISS) qui pointe en direction de la Terre. Cela nous permettra d’évaluer la détectabilité des biosignatures à l’échelle planétaire. Cette étape sera décisive pour permettre de rechercher de la vie dans et au-delà de notre système solaire en utilisant la polarisation », explique le chercheur principal du projet MERMOZ et co-auteur Brice-Olivier Demory, Professeur en astrophysique à l’Université de Berne et également membre au NCCR PlanetS.
La mesure des signaux de polarisation circulaire n’est pas seulement importante pour les futures missions spatiales de détection de la vie. Lucas Patty ajoute : « Puisque le signal est directement lié à la composition moléculaire de la vie et donc à son fonctionnement, il peut également fournir des informations complémentaires précieuses pour la télédétection. » Par exemple, la déforestation ou les maladies des plantes pourraient être détectées depuis les airs, et il pourrait même être possible d’utiliser la polarisation circulaire pour surveiller la prolifération d’algues toxiques, les récifs coralliens et les effets de l’acidification sur ces-derniers.